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Comment anticiper l’imprévisible avec la clause de hardship

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Dans un environnement marqué par l’inflation, les pénuries de matières premières, les tensions logistiques ou encore des évolutions réglementaires rapides, sécuriser ses contrats devient un enjeu vital.

La clause dite de « hardship » (ou clause d’imprévision) offre un cadre pour renégocier lorsque l’exécution devient excessivement onéreuse du fait de circonstances imprévues.

Depuis l’article 1195 du Code civil (réforme de 2016), la logique d’imprévision est pleinement reconnue en droit français pour les contrats de droit privé : si un changement de circonstances imprévisible rend l’exécution trop coûteuse, la partie concernée peut demander une renégociation.

À défaut d’accord, le juge peut adapter le contrat ou y mettre fin.

Cet article vous donne une feuille de route opérationnelle pour comprendre, rédiger et utiliser efficacement une clause de hardship, avec des exemples concrets et une checklist de rédaction.

1) Hardship vs force majeure : bien distinguer les leviers

  • Force majeure : vise un empêchement d’exécuter (impossibilité), extérieur, imprévisible et irrésistible. Elle suspend ou libère de l’exécution (exonération).
  • Hardship / imprévision (art. 1195) : vise une exécution possible mais devenue exorbitante en coût ou en charge, du fait d’un changement imprévisible. Elle ouvre un droit à renégocier, sans suspendre automatiquement les obligations (sauf si le contrat le prévoit).
En pratique : en cas de choc économique (hausse brutale d’énergie, explosion des coûts logistiques, nouvelles normes coûteuses), la clause de hardship est le bon outil ; la force majeure joue plutôt face à un événement qui empêche matériellement d’exécuter.

2) Quand la clause de hardship est-elle utile ?

Particulièrement pertinente pour :

  • Contrats à long terme (fourniture, distribution, prestations récurrentes, contrats-cadres).
  • Secteurs exposés à la volatilité : agroalimentaire, bâtiment, industrie, énergie, tech (composants), transport/logistique.
  • Chaînes d’approvisionnement internationales : exposition aux variations de change, droits de douane, ruptures d’importation.

Ses bénéfices clés :

  • Préserver la relation commerciale plutôt que rompre dans la précipitation.
  • Encadrer une renégociation structurée (délais, preuves, scénario par défaut).
  • Répartir les risques économiques de manière prévisible et acceptable pour chacun.

3) Les conditions d’activation : l’esprit de l’article 1195

Pour être crédible et efficace, la clause doit reprendre (ou affiner) la logique de l’art. 1195 du code civil :

  1. Changement de circonstances imprévisible à la conclusion du contrat (ex. : crise réglementaire, flambée exceptionnelle de matières premières, rupture d’approvisionnement).
  2. Exécution devenue excessivement onéreuse pour une partie (et pas seulement moins rentable).
  3. Absence d’acceptation du risque : la partie qui invoque l’imprévision ne doit pas avoir expressément acceptéd’en assumer les conséquences (attention aux clauses d’acceptation/renonciation).
  4. Demande de renégociation de bonne foi, avec obligation de poursuivre l’exécution pendant la renégociation si le contrat l’exige (très utile pour éviter les ruptures).
Point de vigilance : de nombreux contrats écartent l’article 1195 (clause de renonciation à l’imprévision). Dans ce cas, seule votre clause contractuelle de hardship permettra d’ouvrir une renégociation. D’où l’importance de ne pas renoncer aveuglément à l’imprévision et/ou d’insérer votre propre clause.

4) Comment rédiger une clause de hardship solide ?

Voici une checklist pratique que j’utilise en rédaction et en audit :

a) Déclencheur

  • Définir précisément ce qui constitue un changement significatif :
    • Indices publics (INSEE, Eurostat, indices matières premières, prix de l’énergie).
    • Seuils chiffrés (matérialité) : ex. hausse cumulée > 10 % sur 3 mois.
    • Événements réglementaires (nouvelle taxe, interdiction, conformité imposant des coûts substantiels).

b) Notification & preuves

  • Formalisme : notification écrite, personnes/boîtes mail désignées, accusé de réception.
  • Contenu : faits, données chiffrées, sources, impacts sur coûts/délais/marges, proposition d’ajustement.
  • Délai : délai maximum pour notifier après la découverte de l’événement (ex. 15 jours).

c) Mécanisme de renégociation

  • Calendrier : x jours pour démarrer, y jours pour aboutir (ex. 15 / 30 jours).
  • Principe de bonne foi : échanges d’informations, confidentialité, objectifs raisonnables.
  • Continuité de service : maintien des livraisons/prestations pendant la négociation (si possible).

d) Issues en cas d’échec

  • Échelon de résolution : médiation institutionnelle / expert indépendant (ex. expert-comptable ou ingénieur pour recalculer un prix).
  • Pouvoir de l’expert : simple recommandation ou fixation contraignante (décrire méthode de calcul).
  • Filet de sécurité : à défaut d’accord, saisine du juge pour réviser ou résilier (rappel de l’art. 1195).
  • Éventuellement, résiliation amiable sans faute, avec préavis organisé pour limiter les dégâts opérationnels.

e) Paramètres économiques

  • Articulation avec clauses d’indexation (ne pas les rendre contradictoires).
  • Cap/floor : plafonds/planche minimum d’ajustement pour éviter les abus.
  • Répartition des surcoûts : formule partagée, marche d’escalier, prix révisables provisoirement en attendant l’issue.

f) Périmètre & exclusions

  • Risques déjà acceptés (ex. variations usuelles) exclus.
  • Événements internes (mauvaise gestion) exclus.
  • Doubles comptes : éviter d’activer hardship et pénalités contradictoires.

g) International & compliance

  • Cohérence avec droit applicable et juridiction.
  • Si Incoterms / import-export : préciser qui supporte quel risque (douanes, fret, assurances).
  • Confidentialité renforcée des échanges de renégociation.

5) Quelques exemples concrets

- Une PME voit le prix du sucre et de l’énergie grimper de 25 % en 2 mois. La clause de Hardship (seuil : +10 % sur 90 jours) permet de recalibrer le tarif fournisseur-distributeur, tout en maintenant les livraisons. À défaut d’accord, un expert tiers calcule une révision provisoire, validée ensuite par les parties.

- Un fournisseur upstream réduit les allocations de puces ; les délais explosent. La clause prévoit une priorisation contractuelle, un rééchelonnement des livraisons et un partage des surcoûts logistiques temporaires, avec revue au bout de 60 jours.

- La hausse réglementaire du coût du carbone renchérit les déplacements et pièces de rechange. La clause autorise un réajustement indexé sur un panier d’indices publics, avec cap trimestriel et médiation en cas de désaccord.

6) Limites et pièges fréquents

  • Renonciation à l’imprévision cachée : beaucoup de conditions générales écartent l’art. 1195. Débusquez ces formulations et négociez leur suppression ou l’insertion d’une clause Hardship sur-mesure.
  • Déclencheur flou : sans seuils ni indices, la clause devient inopérante (ou source de conflit).
  • Délais irréalistes : prévoyez des jalons courts mais réalisables, sinon la renégociation s’enlise.
  • Absence de mécanisme subsidiaire (expert/mediation) : vous finissez trop vite au contentieux.
  • Incohérences inter-clauses : indexation, pénalités, résiliation, SLA : tout doit s’emboîter.

7) Mode d’emploi côté opérationnel

  1. Cartographier vos contrats critiques : durée, volume, dépendances, clauses de risques.
  2. Choisir vos indices de référence : énergie, matières, transport, change.
  3. Fixer des seuils adaptés à votre business (10 %, 15 %, 20 %…) et un périmètre clair.
  4. Standardiser un protocole de renégociation : modèles de notification, data-room chiffrée, calendrier type.
  5. Former les équipes (achat, vente, finance) à détecter les signaux et documenter les impacts.
  6. Piloter : tableau de bord des demandes de renégociation, issues, délais, économies/risques évités.
  7. Prévoir la com’ client/fournisseur : posture constructive, transparence raisonnable, continuité d’activité.

8) FAQ express

La clause de hardship bloque-t-elle les pénalités ?
Pas automatiquement. Vous pouvez prévoir une suspension des pénalités liées aux retards directement causés par l’événement déclencheur, pendant la renégociation.

Peut-on activer l'imprévision si une indexation existe déjà ?
Oui, si la hausse dépasse ce que l’indexation absorbe. Il faut coordonner les deux mécanismes pour éviter doublons/contradictions.

Et si le partenaire refuse toute renégociation ?
Prévoyez une médiation obligatoire puis, en ultime recours, la saisine du juge (révision ou résolution). L’art. 1195 sert alors de filet de sécurité.

9) Pourquoi se faire accompagner ?

La difficulté n’est pas tant de « mettre une clause » que de l’aligner finement avec :

  • vos marges, vos accords existants, vos fournisseurs et vos clients,
  • vos indices (et leur disponibilité),
  • vos contrats existants (cohérence globale),
  • votre stratégie (ne pas ouvrir un boulevard de renégociations non maîtrisées).

Un accompagnement sur-mesure permet de sécuriser juridiquement et opérationnellement vos contrats, d’anticiper les scénarios et de doter vos équipes d’outils concrets (modèles, process, tableaux de bord).

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Conclusion

La clause de hardship est un amortisseur contractuel indispensable à l’ère des chocs économiques. Bien définie (déclencheur mesurable, calendrier, modes de résolution, continuité), elle permet d’ajuster sans rompre, de partager équitablement les aléas et de préserver la relation commerciale. En articulant cette clause avec vos indexations, pénalités et SLA, vous gagnez en résilience et en prévisibilité.

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  • revue de 3 à 5 contrats clés,
  • cartographie des risques,
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